La prose du transsibérien

Le jour où l'avenir murmurait : 1er septembre 1887

Le 1er septembre 1887 n'est pas une simple coche dans l'implacable calendrier du temps. C'est une aube, une matrice d'où jaillira un poète dont le nom seul évoquera le vent, le voyage et le fracas moderne. À La Chaux-de-Fonds, dans la rigueur horlogère et les brumes helvétiques, naît ce jour-là un enfant baptisé Frédéric Louis Sauser.

Or, à cet instant précis, nul ne soupçonne l'extraordinaire métamorphose qui s'opérera trente ans plus tard. Le patronyme Sauser est encore une coquille d’encre vierge, un contenant sans l’éclat de la légende. Le destin n'a pas encore tissé le fil d'or et de cendre qui le mène vers Blaise Cendrars.

L'enfant Sauser : une géographie intérieure en germination

Dans l'atmosphère confinée de la petite bourgeoisie suisse, le jeune Frédéric Louis s'apprête à entamer une vie qui, en apparence, ne le destinait nullement aux transsibériens ni aux flammes de la poésie vagabonde. Pourtant, le germe de la fuite et de l'ailleurs est déjà logé dans l'âme de l'enfant. Les lectures précoces, le caractère aventureux de ses pérégrinations familiales – l'Égypte, Naples – tout cela constitue la première bibliothèque invisible de l'écrivain à venir.

L'identité n'est pas une donnée monolithique, mais une œuvre d'art patiente, façonnée par les chocs, les ruptures et les renaissances. Le 1er septembre 1887, c'est l'état initial, la terra incognita d'où l'explorateur s'élancera. Le nom de Sauser porte le poids de la lignée, le respect des conventions, le murmure des montres – tout ce que Cendrars, par l'acte même de sa dénégation nominale, cherchera à abolir.

La genèse du nom : Un acte poétique

Pourquoi cette nécessité de re-baptême ? Sauser restera un nom d'état civil, celui de l'homme privé. Blaise Cendrars, lui, sera la signature du poète, l'emblème de la vita nova.

• Blaise évoque la braise, le feu ardent et purificateur, l'énergie qui consume et qui crée.

• Cendrars suggère la cendre, le résidu des choses consumées, la mémoire, le sillage laissé par l'incendie du voyage et de la vie intense.

Cette fusion alchimique du feu et de la cendre résume la poétique future de l'écrivain : une exaltation constante du mouvement, de la modernité, mais toujours ancrée dans une mélancolie de l'éphémère.

En ce jour de naissance, le monde littéraire est encore dominé par les ultimes éclairs du Symbolisme. Mallarmé écrit, Rimbaud est loin, mais le vibrato de l'avant-garde n'a pas encore fissuré les murs. L'enfant Sauser est la promesse d'une nouvelle ère, celle qui verra la poésie s'arracher aux salons pour épouser l'odeur du charbon, le cri de la machine et l'immensité des horizons ferroviaires.

Le 1er septembre 1887 est le point de départ d'un destin qui changera à jamais le paysage des lettres francophones. C'est la journée où un poète, non encore nommé, commençait à accumuler le trésor secret de sa future Prose du Transsibérien : l'innocence d'un regard neuf sur un monde qui s'apprêtait à entrer en combustion. La graine de feu était semée.