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Le cahier de la Négritude



19 Août 1939 : L'acte de naissance d'un Verbe nouveau. Le Cahier d’un retour au Pays natal d'Aimé Césaire


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Le 19 août 1939, à la veille d’un monde qui bascule, un texte d’une puissance tellurique inouïe surgissait des presses de la revue parisienne Volontés. Il s’agissait du Cahier d’un retour au Pays natal d'Aimé Césaire, une œuvre poétique qui n'était pas seulement une expression littéraire, mais un

acte fondateur. Ce long poème, rédigé en vers libres et nourri de la sève du surréalisme, marquait la déflagration d’une conscience et l’avènement d’un concept appelé à révolutionner le paysage intellectuel du XXe siècle : la Négritude.


La Genèse d'une fureur poétique


Aimé Césaire (1913-2008), alors jeune agrégé de lettres martiniquais étudiant à Paris, compose ce texte lors de vacances en Dalmatie. Loin de sa Martinique natale, la distance géographique lui offre une perspective acérée sur l'aliénation et la misère de son île, une "terre où la grandeur piteusement échoue". Le Cahier est le fruit d’une introspection douloureuse et d’une prise de conscience radicale face à la condition coloniale et au racisme.


Le poème s'ouvre sur le constat de la laideur et de la déchéance de la ville natale, Fort-de-France, et s'articule comme un monologue incandescent, mêlant la confession intime à l'apostrophe prophétique. Césaire, dénonçant l'assimilation culturelle, rejette le mépris hérité qui pèse sur l'identité noire. Il proclame : « Et elle est debout la négraille / la négraille assise / inattendument debout / debout dans la cale / debout dans les cabines / debout sur le pont / debout dans le vent / debout sous le soleil / debout dans le sang / debout… et libre1. »



La Négritude : de l'abjection à l'affirmation royale


Le Cahier est l'écrin où le terme de Négritude trouve sa première définition et son élan vital. Fondé par Césaire, Léopold Sédar Senghor et Léon-Gontran Damas, ce mouvement se voulait à la fois politique et littéraire. Il ne s'agissait pas de magnifier un folklore exotique, mais de transformer l'injure en fierté, l'infériorité prétendue en essence humaniste.


La Négritude, chez Césaire, est une force tellurique, une plongée dans « la chair rouge du sol » et dans « la chair ardente du ciel », une dignité que l'oppression coloniale s'est efforcée de mutiler. Il célèbre non pas ceux qui ont inventé « la poudre ni la boussole », mais ceux qui sont « véritablement les fils aînés du monde », poreux à tous ses souffles. Cette affirmation est une réhabilitation par le Verbe, un manifeste pour une identité retrouvée et une universalité des peuples.


Une révolution formelle et spirituelle


L'impact du Cahier tient autant à son message qu'à sa forme. Influencée par les audaces du surréalisme, la langue de Césaire est une forge où les mots sont tordus, les métaphores fulgurantes, et la syntaxe déconstruite pour mieux exprimer la violence et la rage contenues. Cette « violence infligée à la syntaxe et à la prosodie » (comme le notent certains critiques) devient l'outil de la révolte contre les carcans de la pensée et de l'expression occidentales.


Le poème, qui paraîtra en volume en 1947 avec une préface élogieuse d'André Breton, le chef de file du surréalisme, est une œuvre palimpseste qui a connu plusieurs états. Il demeure aujourd'hui l'un des textes les plus traduits et les plus étudiés de la littérature francophone, célébré comme la voix des misères qui n'ont point de bouche.


En ce 19 août 1939, Aimé Césaire ne faisait pas qu'un retour vers son pays ; il ouvrait une voie royale et poétique vers la liberté et la conscience pour une génération tout entière, inscrivant pour toujours son cri au firmament des lettres.

 
 
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